Victime de son temps?

Les difficultés que rencontre la gestion active depuis des années s’explique par bien plus d’un facteur. Son époque n’est pourtant pas révolue.
L’impact du contexte macroéconomique sur la gestion active est majeur. Et il ne s’agit pas que de performance. Depuis 2008, des politiques monétaires inédites ont eu des effets structurels profonds sur les marchés, notamment sur les flux de capitaux, poussant ses acteurs à repenser leurs modes de financement ou d’investissement. Les fonds actifs ont joué un rôle dans cette mutation. Certains se sont adaptés pour offrir de nouvelles solutions de placement, donnant accès à des catégories d’investissements hors de portée jusque-là.
L’histoire se répète :
L’importance des fondamentaux des sociétés ne semble pas avoir vraiment changé, même si les marchés ont parfois fait mine de les ignorer. Souvenons-nous de la bulle internet, qui a vu le cours de certaines actions suivre des trajectoires stellaires, alors que, pour la plupart de ces sociétés, seules les pertes étaient en croissance. Aujourd’hui, les valorisations sont distordues par la faiblesse des taux et l’injection de liquidités par les Banques centrales, ce qui permet la justification de multiples de cours et d’endettement hors normes. Certains perdent ainsi des milliards, tout en affichant des progressions de cours phénoménales. L’histoire tend donc à se répéter et chacun sait comment cela peut se terminer.
Nous vivons une période de rendements nominaux très bas, voire négatifs. Le volume de dettes à taux négatifs dépasse USD 15 trillions, soit 28% du marché (au 8 août 2019). Ceci a contraint les investisseurs à étendre leur champ d’opportunités de placement, tandis que la grande crise, entre autres effets, a fait disparaitre le rôle des banques comme intermédiaires. Les fonds ont alors représenté une alternative idéale pour diriger ces flux de capitaux vers des sociétés en demande de financement bon marché.
Le boom des ETF a aussi été un facteur déterminant dans la remise en question de la gestion active. Elle a mis en évidence le fait que l’excès de performance d’un gérant actif servait avant tout à le rémunérer, rarement à améliorer les rendements pour l’investisseur. Les projecteurs se sont braqués sur le rapport coût/bénéfice de la gestion active, faisant dire à beaucoup que celle-ci n’avait aucun intérêt – un message repris avec assiduité par les promoteurs de fonds passifs.
Un retour à la “normale” paraît illusoire. Tout d’abord il faudrait définir ce que l’on entend par là. Ensuite, les changements macroéconomiques que nous vivons – qui sont appelés à continuer – sont trop fondamentaux pour que l’on puisse espérer retrouver les conditions du passé. Comment peut-on imaginer que dans 5 ou même 10 ans, l’on puisse retrouver la situation “normale” d’avant crise de 2008, du point de vue des taux, de l’inflation, ou de structure des marchés? Cela reste très peu probable.
Non retour :
Les fonds actifs continueront à exister, mais sous une forme différente. Ils devraient gagner en efficacité – peut-être en étant moins chers – et répondre à d’autres besoins. On peut noter que la mesure de performance contre un indice comme facteur de légitimité de la gestion active a perdu de son importance. En témoigne la multiplication ces dernières années des fonds dits thématiques, ainsi que durables, qui ne doivent pas leur succès aux performances passées, la plupart ayant été créés récemment. En revanche, ils sont pleins de promesses s’agissant de leur capacité à exécuter une gestion alignée sur les valeurs et les attentes des investisseurs. Les ETF sont bien sûr à l’affût et proposent aussi des portefeuilles sur ces thèmes. Certains revendiquent une allocation active de leurs portefeuilles, démontrant que la frontière entre gestion active et passive est aussi en pleine mutation.
Le besoin d’avoir un “pilote à bord” d’un portefeuille – le gérant actif – n’est pas près de disparaitre. Une solution d’avenir pourrait être de donner à chacun la possibilité de décider de la politique d’investissement à appliquer pour son portefeuille en fonction de ses convictions ou de ses valeurs et de laisser l’implémentation tactique à un ou plusieurs gérants actifs. Ils s’occuperaient de gérer les allocations en fonction des risques et anticipations d’évolution des marchés, en tenant compte des contraintes. D’ailleurs, ces gérants ne pourraient-ils pas être des robots? Intelligents évidemment.

Hervé Croset
CEO, co-fondateur,
Wealth Solutions Partners